jeudi 26 février 2009

Eléments référentiels du projet 2


“Improve your lot” Interboro partners project
:

L’agence Interboro (http://www.interboropartners.net/) réfute le modèle de la ville-nature, théorie romantique et régressive selon elle. Elle lui préfère la ville banlieue, phénomène déjà en cours d’élaboration à Detroit d’après leur étude. Dans leur projet, le développement ne signifie ni densification, ni restauration ni encore planification par un quelconque organisme, public ou privé. Il s’agit simplement d’une requalification des parcelles vacantes, comme moyen de rendre viable un territoire occupé par une population pauvre, et ainsi empêcher les mécanismes de gentrification à l’avantage de tous les autres acteurs de la ville, de s’enclencher. Puisque le foncier n’a plus aucune valeur, les propriétaires de ces quartiers à l’abandon peuvent s’approprier les terrains vides jouxtant le leur pour l’usage de leur choix. Leur analyse, qui justifie cette intervention, s’appuie sur trois points:

- La ville de Detroit n’est pas une shrinking city, c’est une région qui continue à s’accroître.
- Le problème de la ville de Detroit est l’inégalité de sa croissance en comparaison avec celle de sa banlieue, qui s’apparente à une politique ségrégative qu’il faut continuer à combattre.
- Toutes les tentatives d’injection de capital pour revitaliser Detroit ont échoué, il faut trouver une politique alternative à cet urbanisme de l’assistanat.

Interboro tente de problématiser une réalité à Detroit pour se l’approprier. En radicalisant une pratique qui échappe à toute programmation elle veut échapper aux organisations de planification urbaine. La stratégie devient pragmatique et immédiate.

Le projet se veut raisonné (voire raisonnable) et humaniste, d’un autre point de vue il peut sembler cynique et sauvage. En terme d’invention, la proposition est très ambiguë. En court-circuitant le traditionnel plan urbain élaboré par les vieux bureaucrates, tout en caricaturant une situation qui n’a rien d’enviable, on peut qualifier ce projet de contre utopie. Cependant, par sa faible ambition assumée «however unspectacular stems from our convicition that the suburbubanization of Detroit does not have to follow national trends, but can do better»1, ajoutée à une volonté manifeste de s’appuyer sur leur importante étude réalisée in-situ, le projet voudrait se présenter une fois de plus comme un manifeste rétroactif, dont l’aboutissement, puisqu’il est en cours, devient inéluctable. 

1. ARMBORST, Tobias, “however unspectacular:the new suburbanism”, in Shrinking Cities volume 2, interventions, Hatje Cantz ed. , 2006, p324








Le Ranch Estate:

Le modèle auquel se réfère la dernière étape de ce projet est la ville diffuse, relativement homogène. Il fut difficile pour nous de nous positionner sur cette question de la ville nature, mais elle était incontournable dans notre stratégie de désurbanisation. Cette vision d’une civilisation se définissant comme le moyen de mettre en perspective ville et campagne et d’y établir une relation organique s’est avérée un des principaux fondements du débat intellectuel américain au siècle dernier . Il ne s’agit pourtant pas d’une problématique purement américaine1. En effet, l’Utopie de More au XVI ème siècle ou encore La ville du soleil de Campanella au XVIIème siècle reposaient déjà sur l’avènement d’une société urbaine aux fondements agraires. Cette conception a été reprise par les Puritains fuyant l’Ancien Monde et s’identifiant au peuple auquel Dieu aurait demandé de fonder la «Nouvelle Jérusalem». La situation actuelle ne peut plus être pensée de manière dualiste, la ville contemporaine ne peut plus être opposée à la campagne. Nous tentons à travers notre proposition d’enrichir cette vision simplificatrice.

Notre proposition joue avec les clichés de l’idéal pastoral, tout en incluant l’actualisation du mythe Marlboro. Tout en se référant en permanence à sa tradition et à son « idéal pastoral », l’Amérique a voulu inventer un cadre de vie qui ne relèverait pas uniquement des seules exigences de la corporate society, société capitaliste entièrement façonnée par les seuls intérêts de l’entreprise. L’ironie de cette réconciliation entre la complexité de la ville et la simplicité d’un mode de vie proche de la nature à Détroit tient dans le fait que l’échec de la corporate society a facilité l’avènement de cette réconciliation. Elle n’a pourtant de réconciliation que le nom, l’artificialité est constitutive de cette dernière étape, elle est contenue dans son nom: le lotissement de Ranches. Le cheval blanc de Buffalo Bill est remplacé par le pick-up noir Chevrolet de GM, leur désir de liberté est le même, nous offrons à notre nouvelle génération Marlboro une ère de jeu dans lequel son 4x4 trouve toute sa place: nous fixons la règle que chaque ranch doit laisser la largeur de la parcelle voisine libre: ce chemin en terre sert d’infrastructure secondaire pour accéder à sa propriété.

Le ranch est l’idéal défendu par Catherine Beecher, représentante du féminisme domestique après la guerre civile, qui identifia la famille, sous la responsabilité de la femme, à la maison entourée d’un jardin. La famille est devenue en même temps une entité sociale et spatiale. Isolée de la ville et de ses maux, elle est perçue comme le cadre par excellence du développement et de l’épanouissement de l’enfant et de l’adulte . Nous cherchons à renverser ce mythe. L’économie est dans la banlieue, isolons nous d’elle pour redéfinir le cadre d’épanouissement dans la ville abandonnée. La nature est devenue un outil pour maintenir et préserver le statu-quo d’une municipalité ou d’un quartier de banlieue.

Ce processus identifié par les chercheurs comme une volonté de reléguer les populations des centres villes est désigné par le sigle NIMBY qui signifie not in my backyard. Ils entraînent une dévalorisation du foncier qui permet aux plus pauvres d’accéder à l’idéal des plus riches. Notre Ranch Estate, en jouant avec ses symboles, devient synonyme de l’identité américaine, soit d’une nation rurale qui a accepté de devenir urbaine – tout en ne se destituant pas de sa tradition – et qui a cherché à concilier le meilleur des deux mondes.

1- GHORRA-GOBIN, Cynthia, La Ville américaine : de l’idéal pastoral à l’artificialisation de l’espace naturel, Annales de la recherche urbaine, no 74, mars 1997.- p71

Projet 2: Interroger le type pour le transformer


«Un étrange souvenir, ou une étrange expérience du rationalisme, mais qui gardait toujours présent à l’esprit le fait que la réalité ne pouvait être saisie que sous un seul aspect ; et donc que la rationalité –ou un minimum de lucidité– permettait d’en analyser l’aspect le plus fascinant : l’irrationnel, le non exprimable.»

ROSSI, Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille : Parenthèses, 1988 p98

Pour le projet sud, la problématique est toute autre, puisque le tissu est déjà largement dédensifié. Il engage une réponse spécifique, plus lié au contexte que le projet Nord. Cette fois, nous devons nous détacher de la rationalité du système, déjà déchiré, pour ouvrir le champs des typologie d’habité, et l’enrichir par cette diversité.

Si dans le projet nord ce sont les entités qui conditionnent l’organisation de la mise en jachère, c’est cette fois l’infrastructure qui devient moteur de la transformation. Nous créons de la forme pour composer de la ville, pour statuer les espaces. C’est cette fois la propriété qui dirige la dédensification, nous orientons le champ des possibilité de négociations, en rendant possible à chacun d’agrandir son terrain s’ il le désire. Notre position est libérale, mais étant donné la situation des marchés en 2009, il est de bon ton de la placer dans un cadre réglementé. Nous nous réservons le droit de réclamer le départ d’un propriétaire qui sort du cadre de notre planification, mais au gré de la dédensification, la ville trouve son équilibre, et les règles disparaissent peu à peu: Lorsqu’une parcelle est abandonnée, elle est tout d’abord léguée à celui qui est désigné dans le plan pour en devenir le propriétaire, puis ensuite les voisins de la parcelle qui sont désignés par le plan enchérissent pour l’obtenir, et enfin il n’y a plus de règle, le système devient autonome.


Monument:

Le fonctionnement traditionnel du tissu du pavillon avec sa parcelle, ses pavillons voisins et son accès direct à la rue depuis la façade principale devient un lointain souvenir. Nous voulons laisser subsister cette trace, dont le rapport à son nouvel environnement devient plus anecdotique que dans le projet nord. Dans la définition de Rossi du monument comme outil de compréhension et de redécouverte de la ville constituée, nous nous autorisons à considérer que la protection de cette trace fait des éléments sauvegardés des monuments partagés. Il n’y a pas de programme spécifique attribué à la définition du monument, nous décidons que l’habiter est une manière de le rendre actif, et nous rapproche d’une autre définition du monument: il renvoie à la permanence, il facilite la mutation d’autres éléments qui se situeront dans une histoire constituée de ces objets structurant.



2 manières de supprimer l’infrastructure:

L’élément principal qui guida ces deux propositions est notre attention à tirer parti du vide, et non de le subir comme c’est le cas actuellement. Dans les deux cas nous ne pouvons parvenir à rendre visible tout de suite l’exploitation foncière du vide, et considérons le fait que s’établissent des clôtures. Nous ne sommes pas encore intervenus dans le tissu, notre intrusion dans un territoire chaotique doit se faire de manière progressive, pour que la nouvelle écriture apparaisse insensiblement.





Stratégie de mise en jachère

1: réunion de 2 îlots:
nous avons constaté que les poches résistantes s’organisaient autour de la voirie, et non à l’intérieur d’un îlot: nous comprenons que le pavillon demeure si son reflet subsiste, hors ce reflet c’est le pavillon qui lui fait face et non celui qui lui tourne le dos. Pour engager une nouvelle pratique d’habiter, nous supprimons l’usage de cette infrastructure qui lui permettait paradoxalement de subsister: nous avons fait ce choix, car cette typologie est celle du village traversée par la route nationale, qui devient le médiateur entre le dedans du dehors, l’espace public, le vecteur social, qui lie l’activité, le service à l’étranger, et ou sont mis en scène les duels. Evoquant la ville du Far West, cette main street s’oppose au territoire vierge à conquérir qui l’entoure, c’est la caverne rassurante dans laquelle on se sent protégé. Nous sommes loin de cette configuration, le territoire qui l’entoure a été domestiqué et nous voulons qu’il le reste. L’étranger n’y a pas sa place, il n’y a aucune activité. En fermant l’accès à cette main street, nous engageons une revalorisation de ce qui devient un espace où l’on est et non où l’on passe. Il y a un effet lotissement, qu’il ne faut pas confondre avec la communauté, l’objectif n’est pas de faciliter la médiation en son sein, mais de définir un lieu, comme une cour intérieure, où l’accès est réservé aux résidents. Conséquence, l’accès se fait par le backyard: les pavillons qui empêchent l’accès à la nouvelle typologie sont ceux qui doivent disparaître. Pour ceux qui ne gênent pas, car certains pavillons ont déjà disparu dans la zone qui nous intéresse, ils demeurent. Ils seront supprimés dans une deuxième étape, plus tard, pour rendre plus visible la typologie créée. Il y a donc une inversion c’est la façade arrière qui devient la façade principale: c’est pour nous une manière d’interroger ces façades, et par notre étude de la façade principale en fonction de la façade arrière, nous pourrions enclencher des propositions pour adapter les façades à cette nouvelle typologie. La façade arrière n’est pas complètement exhibée, l’objectif n’est pas l’inversion simpliste et forcée: une parcelle vide la sépare de l’espace public, la perception qu’on en a est relative.



2: réunion de 3 îlots:
la deuxième possibilité prend le maintien de la hiérarchie façade principale sur rue/façade arrière invisible depuis l’espace public comme prérogative principale. On conserve donc un îlot entier, pour supprimer l’infrastructure qui la borde de chaque côté. La logique est la même quant à la suppression des pavillons: ceux qui rendent inaccessible la nouvelle typologie créé sont supprimés, ceux qui ne gênent pas sont tolérés dans un premier temps, puis seront supprimés plus tard. La distance qui sépare le pavillon de son infrastructure est plus importante que pour la réunion de 2 îlots, dégageant une surface importante devant la façade principale. On pourrait faire une analogie, volontairement abusive, à la typologie du château, par cet accès magnifié: l’importance de la distance qui sépare l’entrée dans la propriété au seuil de la maison permet au visiteur de découvrir lentement toute les subtilités de la somptueuse façade, la charpente retenant le peyron devient une colonnade, la symétrie de la composition de la façade prend un tout autre sens. Le chemin à l’intérieur de l’îlot est conservé, il facilite l’accès, en catimini, aux employés de pavillon. Cette typologie conserve davantage les caractéristiques de la typologie d’origine que la stratégie exposée auparavant.




Constitution des nouveaux monuments:
Avant d’enclencher l’étape suivante, nous déterminons de nouveaux monuments, qui témoigneront de cette histoire. Ils cohabiteront avec ceux qui ont été désigné à l’origine, pour structurer le territoire, comme un moyen de se situer dans l’espace et dans le temps. Ils sont garants du maintien de l’infrastructure: on définit que la voie autour de laquelle est établi un monument ne peut être recouverte, il devient littéralement un élément permanent constitutif de la ville

Ranch Estate:
le modèle auquel se réfère la dernière étape de ce projet est la ville diffuse, relativement homogène. Il fut difficile pour nous de nous positionner sur cette question de la ville nature, mais elle était incontournable dans notre stratégie de désurbanisation. Cette vision d’une civilisation se définissant comme le moyen de mettre en perspective ville et campagne et d’y établir une relation organique s’est avérée un des principaux fondements du débat intellectuel américain au siècle dernier . Il ne s’agit pourtant pas d’une problématique purement américaine1. En effet, l’Utopie de More au XVI ème siècle ou encore La ville du soleil de Campanella au XVIIème siècle reposaient déjà sur l’avènement d’une société urbaine aux fondements agraires. Cette conception a été reprise par les Puritains fuyant l’Ancien Monde et s’identifiant au peuple auquel Dieu aurait demandé de fonder la «Nouvelle Jérusalem». La situation actuelle ne peut plus être pensée de manière dualiste, la ville contemporaine ne peut plus être opposée à la campagne. Nous tentons à travers notre proposition d’enrichir cette vision simplificatrice.

Notre proposition joue avec les clichés de l’idéal pastoral, tout en incluant l’actualisation du mythe Marlboro. Tout en se référant en permanence à sa tradition et à son « idéal pastoral », l’Amérique a voulu inventer un cadre de vie qui ne relèverait pas uniquement des seules exigences de la corporate society, société capitaliste entièrement façonnée par les seuls intérêts de l’entreprise. L’ironie de cette réconciliation entre la complexité de la ville et la simplicité d’un mode de vie proche de la nature à Détroit tient dans le fait que l’échec de la corporate society a facilité l’avènement de cette réconciliation. Elle n’a pourtant de réconciliation que le nom, l’artificialité est constitutive de cette dernière étape, elle est contenue dans son nom: le lotissement de Ranches. Le cheval blanc de Buffalo Bill est remplacé par le pick-up noir Chevrolet de GM, leur désir de liberté est le même, nous offrons à notre nouvelle génération Marlboro une ère de jeu dans lequel son 4x4 trouve toute sa place: nous fixons la règle que chaque ranch doit laisser la largeur de la parcelle voisine libre: ce chemin en terre sert d’infrastructure secondaire pour accéder à sa propriété.

Le ranch est l’idéal défendu par Catherine Beecher, représentante du féminisme domestique après la guerre civile, qui identifia la famille, sous la responsabilité de la femme, à la maison entourée d’un jardin. La famille est devenue en même temps une entité sociale et spatiale. Isolée de la ville et de ses maux, elle est perçue comme le cadre par excellence du développement et de l’épanouissement de l’enfant et de l’adulte . Nous cherchons à renverser ce mythe. L’économie est dans la banlieue, isolons nous d’elle pour redéfinir le cadre d’épanouissement dans la ville abandonnée. La nature est devenue un outil pour maintenir et préserver le statu-quo d’une municipalité ou d’un quartier de banlieue.

Ce processus identifié par les chercheurs comme une volonté de reléguer les populations des centres villes est désigné par le sigle NIMBY qui signifie not in my backyard. Ils entraînent une dévalorisation du foncier qui permet aux plus pauvres d’accéder à l’idéal des plus riches. Notre Ranch Estate, en jouant avec ses symboles, devient synonyme de l’identité américaine, soit d’une nation rurale qui a accepté de devenir urbaine – tout en ne se destituant pas de sa tradition – et qui a cherché à concilier le meilleur des deux mondes.

1- GHORRA-GOBIN, Cynthia, La Ville américaine : de l’idéal pastoral à l’artificialisation de l’espace naturel, Annales de la recherche urbaine, no 74, mars 1997.- p71




 Réunion de deux îlots:

 Réunion de trois îlots:

 Modification des voiries et monuments:

mercredi 25 février 2009

Eléments référentiels du projet 1


Exploitation de différentes temporalités


Chaque phase du système se décompose en deux temps. Dans une première étape, dont la durée est très courte, les résidents de la zone à vider sont délocalisés vers des aires où l’urbanité est maintenue, prenant la place de résidents qui ont quitté Détroit . Dans la seconde étape, les maisons destinées à disparaître sont mises à disposition des habitants de l’îlot. La matérialité du bâti est alors considérée comme une réserve, dans laquelle la communauté peut venir puiser, transformer ou déconstruire. Nous l’employons comme un instrument identitaire, pour nourrir le désir de vivre ensemble tout en s’excluant d’une autre communauté. Cette appropriation physique par le voisinage conduit à une dématérialisation progressive du bâti, qui, par cette opération de soustraction, donne à voir ses entrailles, rend lisible les différentes couches qui le composent. Cette consécration d’une temporalité étirée, pour rendre visible les entrailles du sujet, est une posture parfois également adoptée à l’échelle de l’objet, comme en témoigne le projet Wiederabbau1, pour le palais de la République, bâtiment symbolique à Berlin: geste vain, mais plein de sens, pour tenter de mettre à nu l’incompréhensible. Gordon Matta Clark travaillait de cette façon dans la première partie de sa vie, dénonçant les inégalités en découpant des bâtiments emblématiques, comme un devoir de mémoire, et pour comprendre la misère des occupants des lieux. La conclusion est incluse dans le protocole, il n’y a rien à trouver en découpant un bâtiment de logements sociaux, rien à comprendre, ou peut être un certain voyeurisme qui remplit le spectateur de mal être, et le confronte à sa propre responsabilité. Peu à peu, les maisons disparaissent, et la typologie de l’îlot prend la forme escomptée, pour une longue durée. On empêche personne de quitter cet îlot, mais il sera alors remplacé par un résident qui a été déplacé depuis un îlot qui enclenchait une phase de transformation.




Cette lente disparition du bâti laisse place au langage esthétique et signifiant de la ruine, qui trouve un échos dans la représentation du mythe de Babylone par Bruegel. En effet, si dans cette utopie urbaine, le voile d’incertitude qui entoure cet ouvrage, (la représentation de Bruegel est basée sur des récits dont les auteurs ont participé à la conception du mythe de Babylone) et la démesure de l’édifice expliquent en grande partie sa popularité, c’est le rapport du bâti à la religion, du physique au mystique, qui nous permet de comprendre cet édifice. La genèse dit: « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel»2. La métaphore nous suggère l’immensité du chantier, qui, s’il a un début, n’aura pas de fin, et nous renvoie au grand dogme de la religion, la promesse de la vie éternelle. Mais Ulrike Wegener remarque que ce dessin nous laisse à voir ruines et échafaudages, mêlant cycles de construction et déconstruction3, conférant à la tour le statut de ruine en construction, garante de son éternité, mais condamnée au perpétuel devenir.


Ce qui concède une telle force au patrimoine architectural de Detroit, est cette manifestation ostentatoire de l’échec de l’homme qui se plie sous le joug de la nature. Celle-ci reprend ses droits, et insuffle au lieu une atmosphère paradoxalement oppressante et reposante à la fois : notre propre régression est patente, l’équilibre retrouvé rassurant. C’est bien la manifestation temporelle de l’humanité en déclin qui explique la fascination pour la ruine. Chaque ruine abandonnée est le témoin d’une histoire douloureuse, et la ruine habitée l’est encore davantage, puisqu’elle signifie que la douleur persiste.

L’architecture à Détroit parle de ce renouvellement dans la décomposition, mais c’est le programme qui en témoigne. L’approche américaine lorsqu’il s’agit de son propre patrimoine nous laisse assister, incrédules, à l’absence totale de considération qu’ils ont pour la conservation de leurs bâtiments. La transformation du book Building, utilisé pour son altitude comme antenne de télécommunication, ou du Michigan theatre pour son volume comme parking, est sans doute l’unique représentation possible de la ruine américaine, sans nostalgie ni remord, mais tellement narrative pour le spectateur. On se rapproche de la vision de Rowe, par la superposition d’écritures, et de celle esquissée par Bruegel, par des signes d’abandon qui subsistent mêlés à l’apparition de signes nouveaux.

1. TSCHAIKNER, Eric, dans Shrinking cities 2 Intervention, Hatje Cantz Verlag, 2006, p107
2. La bible, Ancien Testament, Le Pentateuque -Genèse 11.4
3. WEGENER, Ulrike B., Die faszination des Masslosen: Der Turmbau zu Babel von Piter Bruegel bis Athanasius Krircher, Hildesheim, Olms, 1995








Le Monument: Outil urbain/ instrument identitaire

Le monument, aussi bien que le patrimoine mis à disposition des communautés se centre sur l’objet de la maison. Les projets qui suivent nous ont servi de référence quant à l’exploitation possible de ce type de bâti. Leur ambition est de catalyser des pratiques urbaines, ils sont ancrés dans une réalité qu’il est essentiel de considérer. Cette stratégie, quel qu’en soit l’initiateur, compte sur la participation des résidents, indispensable à sa crédibilité. Il n’est pas question de programme, il en résulte le monument sans célébration d’aucun événement passé, ou d’une quelconque personnalité décédée. Ce projet peut varier sur son ambition sociale et esthétique.

Le projet de collectif regroupe une pensée urbaine sans théorie, et sans grande conséquence sur la ville. Il est la quintessence de la misère urbaine, et son reflet physique. Il part d’initiatives individuelles ou associatives, qui se serrent les coudes dans une ville qui les a oubliés. Ce témoignage public doit être pris en compte. Il est le seul monument spontané, et nous permet de mesurer les conditions de vie inacceptables des minorités majoritaires à Detroit. Il est une photographie, n’a aucune aspiration, et n’est porté par aucun intellectuel, qui souvent ne leur accorde aucune attention, si ce n’est le mépris. Deux projets doivent retenir notre attention: le projet Heidelberg. Tyree Guyton, qui depuis 1986, investit peu à peu toutes les maisons abandonnées de la rue Heidelberg, par des sculptures, peintures ou autres assemblages, à partir d’objets trouvés dans les environs du site. Ce projet est pour l’artiste un médiateur pour retisser un lien communautaire, un instrument social, puisque tous les enfants du quartier sont appelés à participer. Un projet controversé également, par l’accueil divisé des populations avoisinantes. La plupart des réalisations du projet Heidelberg furent détruites par les autorités. La force symbolique de cette illusion (connotations paradoxales de la poupée éternellement naïve, et son utilisation comme objet détruit, abandonné) confère-t-elle la force subversive du monument en tant qu’oeuvre d’art? Ironie, monumentaliser les cracks houses devient le moyen le plus efficace de faire détruire les bâtiments abandonnés. C’est d’ailleurs ce qui incita le groupe d’artistes DDD, (Detroit. Demolition. Disneyland) à peindre les façades de maisons abandonnées en orange, systématiquement détruites dans le mois qui suivait par les services municipaux chargés des démolitions.

« Detroit did not become great through centrally planned vision. Detroit became great through the million of spontaneous, very personal and not always beautiful visions of its people. »

STULL, Thomas, Is saving Detroit ruins truly absurd?, The Detroit News, 24/12/1995




Une proposition intermédiaire se situant entre la dénonciation et le catalyseur est celle de l’école d’architecture de Mercy, à Detroit. Les intentions plurielles de ce projet rendent compte de la complexité de la problématique. L’objet de son intervention est également le pavillon. Si la dimension sociale est centrale dans ce projet, on retiendra surtout la concentration sur l’objet, en tant que patrimoine de Détroit. L’objet abandonné entraîne un phénomène de réappropriation, qui est typique à Détroit.

La logique de rentabilité devient la plus performante pour sauvegarder le patrimoine de la ville. Contrairement au centre ville, cette question ne se pose pas pour le propriétaire de la parcelle qu’il a abandonnée, mais pour les résidents du quartier environnant le bâti. L’architecture vidée de son contenu, devient cette fois un contenant à disposition des autres. Le projet FireBreak, par ses « interventions mercenaires », a pour premier objectif cette appropriation de la ruine comme patrimoine.
Bien souvent support physique d’une réflexion, le bâti devient en premier lieu un support publicitaire: de manière littérale avec le projet HouseWrap , marquant la construction de nouveaux logements par une organisation communautaire, mais aussi comme le miroir de l’activisme de ses habitants, avec le projet Hayhouse , promouvant la plantation de foin pour la désintoxication des sols par les habitants des quartiers Est. Le projet HouseWrap, avant de le comparer à l’emballage du Reichstag, peut être rapproché avec la démarche de Christo et Jeanne-Claude, par son intention populaire d’être assimilé par tous. Se rendre accessible est une stratégie de communication indispensable pour Détroit, et inhérente aux travaux de Christo, reconnu pour son talent promotionnel de communication.
Esthétique physique tout d’abord, en devenant l’objet de toutes les attentions des designers: le projet HousePrint, réalisé en 2004, avec sa couche de latex blanc liquide recouvrant toute la surface de l’objet, nous renvoie à l’esthétique des maisons minimalistes japonaises.






Projet 1: Entretenir le type et l'enrichir


« Modeler de grandes masses selon une loi générale en maitrisant la multiplicité (…) le cas général et la « loi » son mis en évidences et exaltés, l’exception est alors écartée , la nuance s’efface, règne la mesure, qui contraint le chaos à devenir une forme, une forme logique, univoque, mathématique : une loi »
1 Ludwig Hilberseimer

« Pour connaître la nature réelle du fait urbain comme œuvre profondément humaine, nous devons admettre l’actualité d’une proposition qui (…) propose de considérer aussi une dimension de l’idéal, et donc le type, comme une aspiration humaine à la certitude. » 2 Giorgio Grassi

Le principe proposé au nord s’appuie sur le taux de remplissage de 1 pour organiser la dédensification sans concession, en conservant la force du système par une stratégie rationnelle. Les règles de fonctionnement du tissu pavillonnaire sont donc conservées mais l’usage du territoire libéré est mis au service de la communauté. Ses règles conservées sont le maintien du pavillon avec sa parcelle, ses pavillons voisins et son accès direct à la rue depuis la façade principale. Ce maintien des règles n’est pas opéré dans une intention conservatrice, la principale raison est que la grille de compréhension du tissu est diaphane, elle définit le statut des sols si clairement qu’elle ne nécessite aucune barrière. La rigidité du système proposé vise à maintenir ce type d’urbanité. Le système repose sur l’organisation de la dédensification d’un, deux, quatre ou huit îlots, définissant des ères destinées à des communautés: tout le travail repose sur l’exploitation des espaces libérés, pour leur donner une définition. Ici, notre intention est de regrouper des particuliers, qui conservent leur parcelle et leur pavillon, mais qui disposent d’un nouvel espace à partager. Nous devons donc accentuer le sentiment d’identité, par le partage d’espaces sur lesquels peuvent être entreprises des activités à but lucratif, la mise en commun de ressources, l’organisation de la densité et de la perméabilité de l’entité. La constitution de ce phasage obéit aux règles exposées ci-dessous. La rigidité de cette ère programmée de 1 à 8 îlots est courcircuitée par la possibilité à tout moment de se lier à son voisin, et de se séparer au sein d’une entité. A chaque instant, des communautés peuvent donc ajouter un îlot voisin dans leur propre espace, ou même un regroupement d’îlots (qui sous-entend la présence d’une autre communauté) à condition que la phase de dédensification soit la même. Nous imposons cette condition, car elle est un facteur essentiel identitaire, qui rend visible à eux-mêmes ainsi qu’aux autres l’existence, et les frontières de cette communauté. Pour se faire, ils négocient un droit de préemption avec les propriétaires concernés, et rendent prioritaire la dédensification de l’entité la plus remplie.

1 HILBERSEIMER, Ludwig: Großstadt-Architektur, 1927, in L’ Architecture comme métier et autres écrits, Liège : Mardaga, 1983 , p 49
2 GRASSI, Giorgio, L’ Architecture comme métier et autres écrits, Liège : Mardaga, 1983 , p 50




Stratégie de désurbanisation

-Dégagement d’une aire vide en coeur d’îlot, premier élément à partager qui permet d’identifier la communauté. Nous ne pouvons imposer la constitution d’une communauté cette décision appartient aux individus qui font le choix de ce regroupement, nous incluons la possibilité d’une incapacité ou d’une indisposition à ce partage: l’espace intérieur est alors découpé entre les résidents de l’îlot, qui négocient entre eux. Pendant cette phase, on laisse le tissu se dissoudre peu à peu, sans imposer de déplacements de population. Comme une entrée en matière, c’est une fois que le coeur de l’îlot est évidé, qui prend donc un temps indéterminé, que peut être enclenché véritablement le schéma de dédensification.

-Suppression partielle des voies internes, de manière à créer une enceinte à ce nouvel îlot, qui ne peut plus être traversé. On efface ainsi une partie des voies rendues inutiles, pour renforcer l’unité du nouvel îlot. Les impasses constituées désservent 4 rangées de pavillons qui se font face, minimum souhaitable pour respecter le principe du tissu. L’espace libéré est intériorisé, nous renvoyant à l’image de la cour intérieure, il bénéficie physiquement, et visuellement, aux habitants de la communauté exclusivement, qui construit son identité: un vide, lieu de sociabilité, un élément d’échange et point de connexion entre les habitants et la matière bâtie qui les entourent... On peut regretter cette urbanité résistante plus qu’un atout prêt à amorcer la mise en jachère, laissant alors apparaître le projet comme une négation de cette dédensification. Ce n’est pas notre préoccupation, il s’agit ici d’envisager une urbanité dont la densité puisse atteindre un COS inférieur à 0,1, sans ambiguïté, maintenant autant que possible le rapport du bati à l’espace public dans l’épaisseur de sa périphérie. Il n’est pas question pour nous de fantasmer la zwischen city, ou le Landscape Urbanism. Nous faisons donc une distinction entre l’appréhension de la ville depuis l’espace public, et celle du résident qui détient un autre regard, cette fois intériorisé, qui participe à la constitution de son espace habité.

-Suppression de l’épaisseur bâti, côté voirie orientée Est/Ouest, et retardement de la découverte de ce vide. Il s’agit de supprimer les impasses, pour conclure cette disparition de la voirie orientée Nord/Sud. Mais cette disparition doit rester relative, nous voulons en garder la trace par l’introduction du monument. Nous avons défini les conditions de sa mise en oeuvre: inhabité, il est mis en place pour conserver une enceinte, pour distinguer le dedans du dehors. Il est lié à l’infrastrucure disparue, et renforce l’identité de la communauté, mais sa présence reste dépendante de son contexte: comme le plan de Hausman pour Paris, il ponctue une perspective. Le monument est désacralisé, il devient un instrument typolgique. Paradoxalement, la permanence du monument reste seulement associée à l’élaboration de la définition de notre monument, car nous le manipulons sans précaution particulière: Si l’infrastructure disparaît, la perspective n’existe plus, le monument devient inutile, il est détruit. Nous envisageons que c’est cette fois c’est l’infrastructure qui est mise en jachère, dans le sens qu’elle n’a pas disparu. Elle est mise en sommeil, prête à retrouver son usage au moment de la redensification. En fonction de l’usage du coeur d’îlot déterminé par une communauté, ces voies peuvent partiellement réapparaître, structurant ce vide à reconquérir.

-Raccrochement du vide du cœur de l’îlot à l’infrastructure environnante dans la longueur de ce dernier, depuis la voie orientée Nord/Sud. Ainsi, l’îlot laisse à voir sa tranche intérieure vide, en opposition avec l’alignement des pavillons encore présents. Cette typologie fait écho à celle d’origine dans le sens où elle retrouve cette même organisation de trame verticale. De plus, elle s’apparente à une organisation repérée dans notre étude des éléments caractéristiques du plan parcellaire.

-Expansion du vide dans la largeur de l’îlot: l’alignement des pavillons subsistant, constitutif de l’ilot d’origine, disparaît, et l’unité devient traversée dans ces deux axes principaux par le vide. Par cette liaison horizontale à l’infrastructure, l’ilot s’ouvre, sa périphérie laisse apparaître l’espace libre interne. Attentif à retrouver une souplesse en fin de processus, on inverse la logique précédente puisqu’au lieu de définir un ensemble destiné à disparaître, nous prescrivons le maintien des quatres pavillons aux angles de l’ensemble. Les parcelles baties restantes subissent alors ce phénomène d’abandon non réglementé de désurbanisation déjà observé dans la partie sud du site de projet. L’avant dernière phase désigne le maintien d’un ensemble de bati à l’un des angles, généralement le moins touché par la destruction. Ce groupe de maisons constitue alors les derniers éléments du système d’origine encore habité. Dans la phase ultime, ces dernières viennent à disparaître, comme pour l’entrée en matière, dans une temporalité étirée retrouvée. L’unité est alors complètement vidée de ses habitants. Seul subsiste les monuments et quelques tracés, témoins de l’urbanisation de ce territoire.









Exemple d'une communauté de deux îlots:

Définitions et outils du projet



Projet «Sud» Vs projet «Nord» Les deux propositions de désurbanisme s’intègrent dans la trame de Jefferson, découpage orthogonal du territoire américain, puisqu’elles reposent sur la réunion d’îlots inclus dans ce système. En effet, ces plans ont l’ambition de recomposer de nouveaux fragments urbains à partir de ceux déjà existants au sein de cette grille hyppodamienne. Ces nouvelles typologies urbaines intègrent les caractéristiques de rationalité, de systématisme déjà présentes sur le site, comme éléments constitutifs du projet (analyse des éléments caractéristique). En ce qui concerne notre position quant à la prise en compte des phénomènes en cours sur le site, nous n’avons pas adopter de stratégie de principe, chaque choix est une constante négociation à travers les éléments existants, décision de ce qui doit être considéré comme une force à préserver, ou comme une faiblesse à laisser de côté. Nos propositions sont si contraignantes que nous ne nous positionnons pas sur des phénomènes urbains établis, nous les entretenons: Le cas des regroupements des activités le long des infrastructures par exemple n’a pas été pour nous une question, nous acceptons ce principe, et tentons d’en tirer parti: il est inclus dans les communautés au Nord comme un moyen de renforcer leur identité, et maintenu au sud pour s’en servir de barrière physique entre l’infra et le bâti.

Monument, permanence et effacement
Monument, vestige d’une ancienne voirie, bordée de pavillons, et de gens qui les ont habités. Ils sont sans nostalgie, comme un signal, une allusion à la structure originelle du tissu pavillonnaire. La permanence de la ville est en question, la présence du monument menacée. Aldo Rossi désignait le monument (au sens vrai), comme un outil de compréhension et de redécouverte de la ville constituée. Dans notre projet, ce monument, c’est un voyage à travers une histoire, une mémoire collective de la ville de Détroit, qui engage des pratiques linguistiques, corporelles et sociales, c’est différent d’une histoire qui valorise les individualités et des discours du savoir. Il pourrait être jugé par certains comme un objet de dévotion archéologique, mais il est pour nous un élément moteur de la dynamique de la ville. Il structure la morphologie de la ville, en tant qu’élément permanent constitutif de l’architecture de Détroit.

«L’ architecture pour atteindre une certaine grandeur doit être oubliée, ou proposer simplement une image de référence qui se confonde avec le souvenir.»


ROSSI, Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille : Parenthèses , 1988 p83


L’enjeu commun aux deux mises en jachère progressives du tissu pavillonnaire est de trouver ou de retrouver une flexibilité du territoire à travers la disparition du bâti d’une part, et des infrastructures d’autre part. Aujourd’hui, si le tissu pavillonnaire de Détroit fonctionne, il doit avoir un taux de remplissage de 100%, sinon on considère la situation critique. Notre approche considère que lorsque le taux de remplissage du tissu est maximal, le système fonctionne, nous ne le remettons pas en question. Mais il est si contraint que nous envisageons la dédensification comme une opportunité à saisir, pour retrouver une diversité. Nous ne cherchons surtout pas à créer cette diversité par atavisme européen quant à l’enseignement de l’architecture, ou parce que la répétition nous oppresse dans ces quartiers, cette répétition est fondamentale, c’est une caractéristique dont nous voulons assurer la pérennité. Avec les deux projets, nous attribuerons notre réussite au fait que vous jugerez qu’avec un taux de remplissage de 70, 50, ou même 10%, vous soyez convaincus de la viabilité de ce territoire, sans avoir la sensation d’une instabilité, d’une situation en devenir. Nous déploierons alors tous nos efforts pour montrer les nouvelles opportunités d’usage, l’enrichissement du tissu acquis par la flexibilité retrouvée du système.


Ainsi, nous choisissons de nous focaliser sur deux lieux aux caractéristiques de densité opposées. Le premier, au nord, dont le système de grille est aujourd’hui saturé, et le second, au sud, dans lequel est inclus notre premier site d’étude, qui présente de nombreux lots vacants, et qui a par conséquent commencé à se désurbaniser.

Nous entendons dans la mise en jachère l’attention particulière à organiser le vide, pour lui redonner à chaque instant la possibilité de se redensifier. Mais la mise en jachère sous-entend l’idée de laisser reposer, d’abandonner temporairement, alors que les deux projets refusent cette idée de mise en parenthèse, chaque lopin de terre étant viable à tout instant. On retient aussi dans la mise en jachère un phénomène saccadé, des temporalités différentes, dans une tendance générale progressive. Enfin c’est par les espaces vides, nouvellement qualifiés, et ainsi libérés de leur caractère indéterminé, que se révèle la capacité de transformation du territoire. Ces deux projets s’attachent à supprimer l’espace public, actuellement privé de capital et de définition, pour le rendre aux communautés (au nord) et aux particuliers (au sud).

Le vide, un potentiel urbain (références)


Les projets qui suivent ont constitué notre de base de référence quant aux attitudes et propositions possibles face à la problématique du désurbanisme. Ils ont en commun de prendre l’apparition de ces vides comme une opportunité de proposer un nouveau modèle urbain, de renverser cette caractéristique qui pourrait apparaître comme étant une faiblesse en une potentialité.


Projet de désurbanisme

Rurbanité
L’origine de cette utopie nous vient du courant moderne, cherchant à décentraliser la vieille ville compacte, en faveur de la « looser city », qui réconcilie la ville avec la campagne. Ebezener Howard fut le premier à imaginer la Garden City, en 1898 : il s’agit surtout de réorganiser la ville avec son coeur (58 000 habitants), sa ceinture agricole, et l’apparition de ce qu’on appellera plus tard les edge cities (32 000 habitants), connectées à la ville principale par cette enceinte verte. Ce projet est une réponse à l’étalement urbain, pour lui rendre une lisibilité, et la nature un rejet de la ville industrielle. Cependant, la rentabilité reste au centre de l’organisation urbaine. Cette ceinture n’est pas uniquement contemplative, elle est productrice, le garde manger plus que le poumon de la ville. Après la première guerre mondiale, l’architecte allemand Lebercht Migge lance la bataille du « Everyone self sufficient » en faveur de la création de « productive green areas », thème développé dans « das grüne Manifest » paru en 1919 1 . Ludvig Hilberseimer, concepteur du plan directeur du parc Lafayette à Détroit, ira encore un peu plus loin dans cette logique, en considérant la nature comme un simple outil de production pour la communauté, au service du capital. Pour rentabiliser cette production, il pense la nature comme Ford conçut son usine. Comme pour Ford, l’Homme de Hilberseimer consomme le fruit de son propre labeur, dans un objectif d’autosuffisance. Frank Lloyd Wright adaptera cette utopie à la culture américaine. Il centre son projet sur la propriété, convaincu qu’elle est indispensable à la véritable démocratie. La nature s’individualise donc, l’urbaniste autoritaire disparaît, c’est une révolution. Conséquence « Broadacre City will be nowhere, yet everywhere » (fig. 35). La ville décrite par Wright est, quand elle s’est concrétisée, une ville en crise: la ville en faillite se traduit par la multiplication des initiatives individuelles, condition de survie, comme ce fut le cas à Moscou entre 1989 et 1992, où 65% des familles russes firent pousser des légumes dans leurs propres Datchas pour subvenir à leurs besoins. Cette autosuffisance devient un enjeu majeur de la mutation de certaines villes: Hong Kong, 45% des légumes consommés par ses habitants est produit sur place, et atteint 84% pour Shangai. Le cas des Community gardens à New York, archétype de la ville Globale, est très intéressant: il concerne tout de même 70 000 fermiers actifs, et 250 000 New Yorkais en profitent « occasionnellement »2, ce qui n’empêcha pas Giuliani de s’y opposer fermement, agitant le spectre des vieilles sorcières: « This is a free-market economy, welcome to the era after Communism » 3. Décidé à ne pas subventionner cette initiative, il mit fin au bail payé par les city farmers en 1998 et tenta de revendre les parcelles inoccupées. Mais le poids médiatique des associations défendant les jardins communautaires, et le soutien de donations privées permirent à 114 jardins de survivre. Changement d’ère ou régression réactionnaire, quoi qu’il en soit ce constat est pour certains la preuve de l’essoufflement de la globalisation, et donne lieu à un nouveau type de projet, le projet alter mondialiste.

1. MIGGE, Leberecht, “Das Grüne Manifest”, in Funktionalität,und Moderne: Das neue Frankfurt und seine Bauten, Ed. Christoph Mohr & Michael Müller, 1984.
2. MEYER-RENSCHAUSSEN, Elisabeth, Unter dem Müll der Acker:Die Community Gardens in New York City, Ed. Königstein/Taunus, 2004
3. GIULIANI, Rudolph, conférence de presse devant les communautes de cultivateurs urbains, New-York, 1997




Ungers et la ville archipel

Pour Ungers, c’est toutes les villes qui sont menacées par le phénomène de «shrinkage», il prend l’exemple de New-York pour illustrer son propos, dont il explique l’exode par le changement de mode de vie. Il invente alors la ville archipel, et tente de la mettre en oeuvre à Berlin, accompagné de Rem Koolhaas: « la ville était détruite, déchirée, trouée et c’était cela sa « mémoire ». L’économie ensuite : Berlin stagnait, se dépeuplait depuis la création du mur, malgré mille incitations institutionnelles ou fiscales, et l’on ne voyait pas comment un retournement suffisant pouvait tout à coup apparaître et fonder économiquement un projet de réurbanisation générale… Si bien que ce que proposait l’IBA nous semblait être ce que, justement, il ne fallait pas faire. On avait là, me semble-t-il l’occasion d’infléchir, d’adapter ce qui existait déjà. Mais on avait là, surtout, l’occasion de faire de la ville une sorte d’archipel territorial ; un système d’îles architecturales entourées de forêts et de lacs dans lequel les infrastructures pouvaient jouer sans dommage, sur un mode presque pictural (un peu comme Peichl l’a fait avec ses stations émettrices) avec une périphérie libre, en se glissant à l’intérieur de grands interstices végétaux. Au fond tout cet accident historique (Berlin détruit par la guerre est à nouveau détruit dans les années cinquante…) pouvait avoir un rôle métaphore, mais sur une trajectoire exactement inverse de celle de l’IBA.» 1

Cities within the City est amenée par Ungers comme une solution au problème des Shrinking Cities, en libérant la ville de sa décomposition par une requalification du vide.2
L’opinion courante selon laquelle les quartiers historiques d’une ville ne peuvent être préservés et sauvés que par addition et intégration de bâtiments s’avère erronée voire illusoire. » Le processus de dépopulation ne peut laisser une chance.
L’idée de « réparer » la ville, si elle est mal interprétée, peut engendrer sa destruction, impliquant une densification du bâti. Le concept de réparation d’une ville oublie un fait établi : la plupart des espaces tombent en ruine précisément parce que, dans la plupart des cas et surtout pour Berlin, il n’y a pas nécessité d’augmenter
la densité. En effet, il y a confusion entre les nécessités réelles et en conséquence
«le Kitch est produit au nom de la bonne volonté et du bon goût»3

1. Rem Koolhaas, entretien avec Bruno Fortier, La Grande Ville, in L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 262, avril 1989 p 92.
2. Sophie Dars, la mise en archipel de la ville en décomposition, les origines insulaires de la pensée métropolitaine de l’OMA, ENSA Paris Malaquais, 27/09/2007
3. Oswald Mathias Ungers, Rem Koolhaas, Peter Riemann, Hans Kollhoff, Arthur Ovaska, « Cities Within the City » : Proposals by the
Sommer Akademie for Berlin », in Lotus International n°19, 1978, pp82-97.




La nature productive de Hilberseimer

Cette idée appartient à Hilberseimer, qu’il a développée tout d’abord dans Nature Of Cities1, puis expérimentée dans le parc Lafayette à Détroit avec Caldwell. Hilberseimer partageait l’enthousiasme de Caldwell pour une vie proche de la nature, et tendait davantage vers les bénéfices immédiats d’une vie proche des parcs cultivés et jardins potagers en tant que manifestations d’un paysage productif. Comme le montre The New Régional Pattern2, les délicats dessins de Caldwell illustrent un urbanisme presque entièrement remanié, libéré du lourd appareil de la forme urbaine traditionnelle, dans lequel le paysage garantit l’ordre social et spatial. Redonner vie à un grand urbanisme, cette conviction aboutira plus tard au seul projet de renouvellement urbain intéressant de la ville, qui est un succès encore aujourd’hui.

1. HILBERSEIMER, Ludwig, The Nature of Cities: Origin, Growth and Decline; Pattern and Form; Planning Problems.1955
2. HILBERSEIMER, Ludwig, The New Regional Pattern : industries and gardens, workshops and farms, Chicago, Ed. P. Theobald & Company , 1949 .







Le projet Adamah

Le projet ADAMAH est la version édulcorée de la théorie soutenue par Hilberseimer: plus aboutie dans sa productivité, elle perd son ambition sociale. Le rôle médium de cette nature ayant disparu, le projet, délibérément conçu avec naïveté et sans se soucier de ses origines, comporte très peu d’intérêt. Il est présenté ici car il fit beaucoup parler de lui, grâce à une forte couverture médiatique1 et parce qu’il continue à être vivement défendu par des organisations communautaires. Il convient donc de s’y intéresser, car bien sûr le plus important pour un urbaniste visionnaire est de rendre les habitants, objet de toute son attention, les plus heureux possible.

1. Detroit weekly metrotimes, 31/10/2001




Fiber city
Le Japon, ayant connu son pic de croissance démographique en 2005 avec une population d’environ 130 millions d’habitants, prévoit que sa population passe en dessous de la barre des 100 millions d’habitants en 2050. Elle a lancé pour tokyo un grand plan visant à anticiper cette dédensification: « tokyo 2050 Fibercity ». L’étude dirigée par l’architecte Hidetoshi Ohno, adopte le concept de “fibres”, en fait le modèle de la ville linéaire, en suivant les grandes lignes de transport et de communication, en opposition avec le modèle atomique traditionnel des villes occidentales1. Les 4 stratégies de réorganisation urbaine se concentrent sur une manipulation de ces fibres spatiales pour changer Tokyo:
- Green finger, consiste à abandonner et à reconvertir les zones situées à plus de 800m des stations de trains en zones vertes, en estimant que la future population urbaine cherchera à se rapprocher de ces dernières, centres nerveux d’activité de la ville et de ses banlieues.
- Green partition, consiste en une protection accrue contre les désastres naturels (tremblement de terre ou incendie) en donnant de l’air aux zones résidentielles surpeuplées.
Des chemins verts sont mis en place comme pare-feu, et pour rendre les quartiers résidentiels plus agréables à vivre.
- Green web, vise à convertir les voies rapides internes à la ville en parcs linéaires et en voie d’accès d’urgence utilisables pendant une crise. Cette stratégie prend toujours comme hypothèse une diminution de la population et par conséquent du trafic routier.
- Urban wrinkle s’attache à la rénovation ou l’amélioration de quelques points remarquables dans la ville pour en faire sortir leur potentiel et les rendre attractifs. Typiquement, ce sont des lieux de structure linéaire comme de vieux canaux, des bords de rivières, des rues en pentes… avec un potentiel d’attraction non exploité ou gâché par leur situation. Ces lieux sont généralement considérés comme ayant une valeur historique et cette étude tente de les mettre en valeur.

Toutes ces axes de propositions sont tournées vers une intégration du vert, d’éléments naturels intégrés à l’intérieur de la ville dans un souci d’améliorer l’environnement général de vie.

1. HIDETOSHI, Ohno, Tokyo 2050 : fibercity, JA, n 63, p 2-136, 2006
http://www.fibercity2050.net/



Processus d'effacement

Decamping Detroit / C. Waldheim


Une de nos références quant à la capacité de révéler le potentiel dans l’effacement progressif d’un territoire est le projet de Charles Waldheim, directeur des études supérieures à l’école d’architecture de Chicago, et Marili Santos-Munné, architecte installé à Bâle, professeur-assistant dans l’université du Michigan, qui projetèrent « Decamping Detroit », en 1995. Ce projet s’inspire de l’histoire de l’urbanisme américain, et plus spécifiquement de celui de Détroit, pour tirer parti de ses potentialités. Ses auteurs assument leur position de projeteurs actifs de la ville, en prenant le maximum de précaution (facilité de sa mise en oeuvre, démocratie participative, etc.).

Origines
Ce projet trouve ses origines dans l’histoire de l’urbanisme de Detroit. Il s’appuie tout d’abord sur le Detroit Vacant Land Survey, programmation sur 3 ans de l’abandon progressif de Detroit. Walhdheim en parle suivant ces termes: « for once, with the Detroit Vacant Land Survey, Detroit’s planners were up to speed with events on the ground, even if they were up to momentarily out of step with popular public opinion formed by the media and fuelled by equal parts nostalgia and denial»1. Ce projet envisage le fordisme comme modèle urbain: La ville se laisse modeler par son industrie, répond instantanément à ses besoins, et devient aussi flexible que le modèle européen n’est permanent. La ville de Ford est sans scrupule, elle dévore et se rétracte, mais reste toujours opérationnelle. «As a product of mobile capital and speculative development practices in the service of evolving models of production, Detroit was a clear and unmistakable success»2. Ford a construit des mobil-homes, faute de mieux, les résidents ont voulu maçonner leurs fondations. Pourtant, lorsque l’industrie automobile s’est effondrée, la ville fut abandonnée, sans état d’âme. En détruisant les bâtiments abandonnés, la municipalité confère sa légitimité au processus en cours, et y prend part.

Faire face à la réalité
Le projet présenté propose de reprendre l’attitude employée pour le Détroit Vacant Land Survey, mais avec plus d’ambition. Il part du postulat que l’abandon de Détroit est irrévocable, et décide de programmer cette abandon, étape par étape, sur une durée étalée, jusqu’à son retour à l’état de nature. La finalité n’intéresse pas les projeteurs, qui décident de se concentrer sur le processus. Il n’y a pas de retour, il n’y a pas de nature, puisque le fruit des mutations de ce territoire lui donnera un nouveau statut, de forme indéterminée. Dans sa démarche, ce projet pourrait être qualifié de «Landscape Urbanism», il s’interroge sur des questions similaires à celles que se posent les urbanistes préoccupés par l’étalement urbain.

Comme l’avait initié le Detroit Vacant Land Survey, la stratégie nécessite le dégagement de réserves d’espaces, leurs statuts doivent rester indéterminés. Il est seulement nécessaire d’établir des stratégies infrastructurelles, au regard des objectifs écologiques et sociaux fixés par tous les acteurs du territoire en question «their future viability as true void spaces depends upon the imaginary and mythic conditions of their founding». L’équipe appuie son propos sur le film Stalker de Andreï Tarkovski. Le protagoniste évolue dans la « zone », espace contaminé, toxique, conséquence du déclin post-industriel. Ce scénario est en train de se produire à Détroit. 4 étapes:

- Délocalisation: évacuation et relogement des populations volontaires, regroupement des services publics, et délimitation de zones nouvellement constituées. Le démembrement des activités politiques et économiques opère une altération du statut de la zone.
- Effacement: assainir la zone évacuée. Destruction d’espace spécifiques, enflammement, implantation d’espèces animales sélectionnées, et de plantes qui précipitent la déterioration des zones d’activités abandonnées, et accélère la durée aboutissant à la ruine.
- Absorption: reconstitution partielle de micro-environnements est l’objectif de cette phase, obtenue par la plantation d’arbres et l’inondation. Cette phase est la plus longue. Les semences plantées doivent agir lentement, la zone devient une réserve pour devenir un «ex-urban park».
- Infiltration: spéculation sur la future réappropriation des zones. Les tâches effectuées auparavant permettent d’envisager une grande diversité d’usage. Ces zones sont devenues économiquement viables. « Detroit’s zones will continue as open-ended responses to individual or collective demands placed on the landscape and its infrastructure as ambient absences » . Sept exemples de définitions de zones sont ensuite développés, comme un stand de tir de pigeons, un espace d’entraînement militaire, un refuge pour l’immigration et la naturalisation, un centre expérimental d’agriculture intensive. Toutes ces activités sont empruntées à l’univers militaire, elles illustrent ce devenir permanent de zones calquées sur une économie.

1. WALDHEIM, Charles, SANTIS-MUNNE, Marili, “Decamping Detroit”, Stalking Detroit, Actar, 2001, p107
2. Ibid, p106








La Défense / OMA


"The process of erasure could be scraped over times in a surreptitious way- an invisible reallity. We could gradually scrape whole areas of texture off the map, and in 25 years the whole area would be available"

KOOLHAAS, Rem, MAU, Bruce, S, M, L, XL, Small, Medium, Large, Extra-Large / Office for Metropolitan Architecture, New-York, Monacelli Press, 1998 p1090-1135

Le projet touche à de nombreuses notions pertinentes pour réinventer Détroit, il devient le reflet de ce renversement possible de la programmation traditionnelle dans un territoire spécifique, colonisé, puis abandonné, et effacé. Les références convoquées ont pour effet de vider en définitif la ville de son contenu. On est loin du mythe de l’apologie du vide tant redouté. On pense davantage au projet de l’OMA pour la défense, où l’agence fit la proposition de décomposer les phases visant l’effacement progressif (25 ans) des traces d’urbanité, pour un remplacement subséquent par une grille autonome prête à accueillir une nouvelle architecture.