L’agence Interboro (http://www.interboropartners.net/) réfute le modèle de la ville-nature, théorie romantique et régressive selon elle. Elle lui préfère la ville banlieue, phénomène déjà en cours d’élaboration à Detroit d’après leur étude. Dans leur projet, le développement ne signifie ni densification, ni restauration ni encore planification par un quelconque organisme, public ou privé. Il s’agit simplement d’une requalification des parcelles vacantes, comme moyen de rendre viable un territoire occupé par une population pauvre, et ainsi empêcher les mécanismes de gentrification à l’avantage de tous les autres acteurs de la ville, de s’enclencher. Puisque le foncier n’a plus aucune valeur, les propriétaires de ces quartiers à l’abandon peuvent s’approprier les terrains vides jouxtant le leur pour l’usage de leur choix. Leur analyse, qui justifie cette intervention, s’appuie sur trois points:
- La ville de Detroit n’est pas une shrinking city, c’est une région qui continue à s’accroître.
- Le problème de la ville de Detroit est l’inégalité de sa croissance en comparaison avec celle de sa banlieue, qui s’apparente à une politique ségrégative qu’il faut continuer à combattre.
- Toutes les tentatives d’injection de capital pour revitaliser Detroit ont échoué, il faut trouver une politique alternative à cet urbanisme de l’assistanat.
Interboro tente de problématiser une réalité à Detroit pour se l’approprier. En radicalisant une pratique qui échappe à toute programmation elle veut échapper aux organisations de planification urbaine. La stratégie devient pragmatique et immédiate.
Le projet se veut raisonné (voire raisonnable) et humaniste, d’un autre point de vue il peut sembler cynique et sauvage. En terme d’invention, la proposition est très ambiguë. En court-circuitant le traditionnel plan urbain élaboré par les vieux bureaucrates, tout en caricaturant une situation qui n’a rien d’enviable, on peut qualifier ce projet de contre utopie. Cependant, par sa faible ambition assumée «however unspectacular stems from our convicition that the suburbubanization of Detroit does not have to follow national trends, but can do better»1, ajoutée à une volonté manifeste de s’appuyer sur leur importante étude réalisée in-situ, le projet voudrait se présenter une fois de plus comme un manifeste rétroactif, dont l’aboutissement, puisqu’il est en cours, devient inéluctable.
1. ARMBORST, Tobias, “however unspectacular:the new suburbanism”, in Shrinking Cities volume 2, interventions, Hatje Cantz ed. , 2006, p324
Le Ranch Estate:
Le modèle auquel se réfère la dernière étape de ce projet est la ville diffuse, relativement homogène. Il fut difficile pour nous de nous positionner sur cette question de la ville nature, mais elle était incontournable dans notre stratégie de désurbanisation. Cette vision d’une civilisation se définissant comme le moyen de mettre en perspective ville et campagne et d’y établir une relation organique s’est avérée un des principaux fondements du débat intellectuel américain au siècle dernier . Il ne s’agit pourtant pas d’une problématique purement américaine1. En effet, l’Utopie de More au XVI ème siècle ou encore La ville du soleil de Campanella au XVIIème siècle reposaient déjà sur l’avènement d’une société urbaine aux fondements agraires. Cette conception a été reprise par les Puritains fuyant l’Ancien Monde et s’identifiant au peuple auquel Dieu aurait demandé de fonder la «Nouvelle Jérusalem». La situation actuelle ne peut plus être pensée de manière dualiste, la ville contemporaine ne peut plus être opposée à la campagne. Nous tentons à travers notre proposition d’enrichir cette vision simplificatrice.
Notre proposition joue avec les clichés de l’idéal pastoral, tout en incluant l’actualisation du mythe Marlboro. Tout en se référant en permanence à sa tradition et à son « idéal pastoral », l’Amérique a voulu inventer un cadre de vie qui ne relèverait pas uniquement des seules exigences de la corporate society, société capitaliste entièrement façonnée par les seuls intérêts de l’entreprise. L’ironie de cette réconciliation entre la complexité de la ville et la simplicité d’un mode de vie proche de la nature à Détroit tient dans le fait que l’échec de la corporate society a facilité l’avènement de cette réconciliation. Elle n’a pourtant de réconciliation que le nom, l’artificialité est constitutive de cette dernière étape, elle est contenue dans son nom: le lotissement de Ranches. Le cheval blanc de Buffalo Bill est remplacé par le pick-up noir Chevrolet de GM, leur désir de liberté est le même, nous offrons à notre nouvelle génération Marlboro une ère de jeu dans lequel son 4x4 trouve toute sa place: nous fixons la règle que chaque ranch doit laisser la largeur de la parcelle voisine libre: ce chemin en terre sert d’infrastructure secondaire pour accéder à sa propriété.
Le ranch est l’idéal défendu par Catherine Beecher, représentante du féminisme domestique après la guerre civile, qui identifia la famille, sous la responsabilité de la femme, à la maison entourée d’un jardin. La famille est devenue en même temps une entité sociale et spatiale. Isolée de la ville et de ses maux, elle est perçue comme le cadre par excellence du développement et de l’épanouissement de l’enfant et de l’adulte . Nous cherchons à renverser ce mythe. L’économie est dans la banlieue, isolons nous d’elle pour redéfinir le cadre d’épanouissement dans la ville abandonnée. La nature est devenue un outil pour maintenir et préserver le statu-quo d’une municipalité ou d’un quartier de banlieue.
Ce processus identifié par les chercheurs comme une volonté de reléguer les populations des centres villes est désigné par le sigle NIMBY qui signifie not in my backyard. Ils entraînent une dévalorisation du foncier qui permet aux plus pauvres d’accéder à l’idéal des plus riches. Notre Ranch Estate, en jouant avec ses symboles, devient synonyme de l’identité américaine, soit d’une nation rurale qui a accepté de devenir urbaine – tout en ne se destituant pas de sa tradition – et qui a cherché à concilier le meilleur des deux mondes.