jeudi 26 février 2009

Projet 2: Interroger le type pour le transformer


«Un étrange souvenir, ou une étrange expérience du rationalisme, mais qui gardait toujours présent à l’esprit le fait que la réalité ne pouvait être saisie que sous un seul aspect ; et donc que la rationalité –ou un minimum de lucidité– permettait d’en analyser l’aspect le plus fascinant : l’irrationnel, le non exprimable.»

ROSSI, Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille : Parenthèses, 1988 p98

Pour le projet sud, la problématique est toute autre, puisque le tissu est déjà largement dédensifié. Il engage une réponse spécifique, plus lié au contexte que le projet Nord. Cette fois, nous devons nous détacher de la rationalité du système, déjà déchiré, pour ouvrir le champs des typologie d’habité, et l’enrichir par cette diversité.

Si dans le projet nord ce sont les entités qui conditionnent l’organisation de la mise en jachère, c’est cette fois l’infrastructure qui devient moteur de la transformation. Nous créons de la forme pour composer de la ville, pour statuer les espaces. C’est cette fois la propriété qui dirige la dédensification, nous orientons le champ des possibilité de négociations, en rendant possible à chacun d’agrandir son terrain s’ il le désire. Notre position est libérale, mais étant donné la situation des marchés en 2009, il est de bon ton de la placer dans un cadre réglementé. Nous nous réservons le droit de réclamer le départ d’un propriétaire qui sort du cadre de notre planification, mais au gré de la dédensification, la ville trouve son équilibre, et les règles disparaissent peu à peu: Lorsqu’une parcelle est abandonnée, elle est tout d’abord léguée à celui qui est désigné dans le plan pour en devenir le propriétaire, puis ensuite les voisins de la parcelle qui sont désignés par le plan enchérissent pour l’obtenir, et enfin il n’y a plus de règle, le système devient autonome.


Monument:

Le fonctionnement traditionnel du tissu du pavillon avec sa parcelle, ses pavillons voisins et son accès direct à la rue depuis la façade principale devient un lointain souvenir. Nous voulons laisser subsister cette trace, dont le rapport à son nouvel environnement devient plus anecdotique que dans le projet nord. Dans la définition de Rossi du monument comme outil de compréhension et de redécouverte de la ville constituée, nous nous autorisons à considérer que la protection de cette trace fait des éléments sauvegardés des monuments partagés. Il n’y a pas de programme spécifique attribué à la définition du monument, nous décidons que l’habiter est une manière de le rendre actif, et nous rapproche d’une autre définition du monument: il renvoie à la permanence, il facilite la mutation d’autres éléments qui se situeront dans une histoire constituée de ces objets structurant.



2 manières de supprimer l’infrastructure:

L’élément principal qui guida ces deux propositions est notre attention à tirer parti du vide, et non de le subir comme c’est le cas actuellement. Dans les deux cas nous ne pouvons parvenir à rendre visible tout de suite l’exploitation foncière du vide, et considérons le fait que s’établissent des clôtures. Nous ne sommes pas encore intervenus dans le tissu, notre intrusion dans un territoire chaotique doit se faire de manière progressive, pour que la nouvelle écriture apparaisse insensiblement.





Stratégie de mise en jachère

1: réunion de 2 îlots:
nous avons constaté que les poches résistantes s’organisaient autour de la voirie, et non à l’intérieur d’un îlot: nous comprenons que le pavillon demeure si son reflet subsiste, hors ce reflet c’est le pavillon qui lui fait face et non celui qui lui tourne le dos. Pour engager une nouvelle pratique d’habiter, nous supprimons l’usage de cette infrastructure qui lui permettait paradoxalement de subsister: nous avons fait ce choix, car cette typologie est celle du village traversée par la route nationale, qui devient le médiateur entre le dedans du dehors, l’espace public, le vecteur social, qui lie l’activité, le service à l’étranger, et ou sont mis en scène les duels. Evoquant la ville du Far West, cette main street s’oppose au territoire vierge à conquérir qui l’entoure, c’est la caverne rassurante dans laquelle on se sent protégé. Nous sommes loin de cette configuration, le territoire qui l’entoure a été domestiqué et nous voulons qu’il le reste. L’étranger n’y a pas sa place, il n’y a aucune activité. En fermant l’accès à cette main street, nous engageons une revalorisation de ce qui devient un espace où l’on est et non où l’on passe. Il y a un effet lotissement, qu’il ne faut pas confondre avec la communauté, l’objectif n’est pas de faciliter la médiation en son sein, mais de définir un lieu, comme une cour intérieure, où l’accès est réservé aux résidents. Conséquence, l’accès se fait par le backyard: les pavillons qui empêchent l’accès à la nouvelle typologie sont ceux qui doivent disparaître. Pour ceux qui ne gênent pas, car certains pavillons ont déjà disparu dans la zone qui nous intéresse, ils demeurent. Ils seront supprimés dans une deuxième étape, plus tard, pour rendre plus visible la typologie créée. Il y a donc une inversion c’est la façade arrière qui devient la façade principale: c’est pour nous une manière d’interroger ces façades, et par notre étude de la façade principale en fonction de la façade arrière, nous pourrions enclencher des propositions pour adapter les façades à cette nouvelle typologie. La façade arrière n’est pas complètement exhibée, l’objectif n’est pas l’inversion simpliste et forcée: une parcelle vide la sépare de l’espace public, la perception qu’on en a est relative.



2: réunion de 3 îlots:
la deuxième possibilité prend le maintien de la hiérarchie façade principale sur rue/façade arrière invisible depuis l’espace public comme prérogative principale. On conserve donc un îlot entier, pour supprimer l’infrastructure qui la borde de chaque côté. La logique est la même quant à la suppression des pavillons: ceux qui rendent inaccessible la nouvelle typologie créé sont supprimés, ceux qui ne gênent pas sont tolérés dans un premier temps, puis seront supprimés plus tard. La distance qui sépare le pavillon de son infrastructure est plus importante que pour la réunion de 2 îlots, dégageant une surface importante devant la façade principale. On pourrait faire une analogie, volontairement abusive, à la typologie du château, par cet accès magnifié: l’importance de la distance qui sépare l’entrée dans la propriété au seuil de la maison permet au visiteur de découvrir lentement toute les subtilités de la somptueuse façade, la charpente retenant le peyron devient une colonnade, la symétrie de la composition de la façade prend un tout autre sens. Le chemin à l’intérieur de l’îlot est conservé, il facilite l’accès, en catimini, aux employés de pavillon. Cette typologie conserve davantage les caractéristiques de la typologie d’origine que la stratégie exposée auparavant.




Constitution des nouveaux monuments:
Avant d’enclencher l’étape suivante, nous déterminons de nouveaux monuments, qui témoigneront de cette histoire. Ils cohabiteront avec ceux qui ont été désigné à l’origine, pour structurer le territoire, comme un moyen de se situer dans l’espace et dans le temps. Ils sont garants du maintien de l’infrastructure: on définit que la voie autour de laquelle est établi un monument ne peut être recouverte, il devient littéralement un élément permanent constitutif de la ville

Ranch Estate:
le modèle auquel se réfère la dernière étape de ce projet est la ville diffuse, relativement homogène. Il fut difficile pour nous de nous positionner sur cette question de la ville nature, mais elle était incontournable dans notre stratégie de désurbanisation. Cette vision d’une civilisation se définissant comme le moyen de mettre en perspective ville et campagne et d’y établir une relation organique s’est avérée un des principaux fondements du débat intellectuel américain au siècle dernier . Il ne s’agit pourtant pas d’une problématique purement américaine1. En effet, l’Utopie de More au XVI ème siècle ou encore La ville du soleil de Campanella au XVIIème siècle reposaient déjà sur l’avènement d’une société urbaine aux fondements agraires. Cette conception a été reprise par les Puritains fuyant l’Ancien Monde et s’identifiant au peuple auquel Dieu aurait demandé de fonder la «Nouvelle Jérusalem». La situation actuelle ne peut plus être pensée de manière dualiste, la ville contemporaine ne peut plus être opposée à la campagne. Nous tentons à travers notre proposition d’enrichir cette vision simplificatrice.

Notre proposition joue avec les clichés de l’idéal pastoral, tout en incluant l’actualisation du mythe Marlboro. Tout en se référant en permanence à sa tradition et à son « idéal pastoral », l’Amérique a voulu inventer un cadre de vie qui ne relèverait pas uniquement des seules exigences de la corporate society, société capitaliste entièrement façonnée par les seuls intérêts de l’entreprise. L’ironie de cette réconciliation entre la complexité de la ville et la simplicité d’un mode de vie proche de la nature à Détroit tient dans le fait que l’échec de la corporate society a facilité l’avènement de cette réconciliation. Elle n’a pourtant de réconciliation que le nom, l’artificialité est constitutive de cette dernière étape, elle est contenue dans son nom: le lotissement de Ranches. Le cheval blanc de Buffalo Bill est remplacé par le pick-up noir Chevrolet de GM, leur désir de liberté est le même, nous offrons à notre nouvelle génération Marlboro une ère de jeu dans lequel son 4x4 trouve toute sa place: nous fixons la règle que chaque ranch doit laisser la largeur de la parcelle voisine libre: ce chemin en terre sert d’infrastructure secondaire pour accéder à sa propriété.

Le ranch est l’idéal défendu par Catherine Beecher, représentante du féminisme domestique après la guerre civile, qui identifia la famille, sous la responsabilité de la femme, à la maison entourée d’un jardin. La famille est devenue en même temps une entité sociale et spatiale. Isolée de la ville et de ses maux, elle est perçue comme le cadre par excellence du développement et de l’épanouissement de l’enfant et de l’adulte . Nous cherchons à renverser ce mythe. L’économie est dans la banlieue, isolons nous d’elle pour redéfinir le cadre d’épanouissement dans la ville abandonnée. La nature est devenue un outil pour maintenir et préserver le statu-quo d’une municipalité ou d’un quartier de banlieue.

Ce processus identifié par les chercheurs comme une volonté de reléguer les populations des centres villes est désigné par le sigle NIMBY qui signifie not in my backyard. Ils entraînent une dévalorisation du foncier qui permet aux plus pauvres d’accéder à l’idéal des plus riches. Notre Ranch Estate, en jouant avec ses symboles, devient synonyme de l’identité américaine, soit d’une nation rurale qui a accepté de devenir urbaine – tout en ne se destituant pas de sa tradition – et qui a cherché à concilier le meilleur des deux mondes.

1- GHORRA-GOBIN, Cynthia, La Ville américaine : de l’idéal pastoral à l’artificialisation de l’espace naturel, Annales de la recherche urbaine, no 74, mars 1997.- p71




 Réunion de deux îlots:

 Réunion de trois îlots:

 Modification des voiries et monuments:

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire