lundi 23 février 2009

Humilité comme posture


Pour renverser notre démarche, nous avons choisi de multiplier les relevés, de prendre le temps pour redessiner, pour s’imprégner de la ville et de son tissu pavillonnaire. Résolus à ne pas nous fier aux documents produits par d’autres, nous avons circonscrit notre étude autour de trois documents: les vues en plan de Google Earth, les vues d’avion de Mapslive, et les travelling que nous avons réalisés in situ. Ces sources ont été sélectionnées car elles suivent un protocole dans leur fabrication qui ne fait aucune distinction, ne créée aucune hiérarchie. Les images photographiques du réel sont autant de regards sur la réalité, produits dont la manufacture est réduite à sa fabrication, qui séparément sont insuffisants, mais qui, regroupés, nous permettent d’avoir une vision englobante du site.


L’étape suivante fut de faire un travail de redessin de ces documents, afin de constituer notre propre base de donnée. Autocad permet d’effectuer des opérations basiques de duplication qui nous obligent à constamment extrapoler, interpréter, deviner et comprendre. Notre démarche questionne l’outil en renversant son usage. Traditionnellement en amont de la fabrication, en créant une représentation filaire des masses existantes, chaque droite pose question. Or dans le cas présent, la représentation permet de réinterroger le bâti postérieurement à sa production. Ce fut également une manière d’interroger la profession. L’architecte dessine des plans pour ordonnancer des masses, qu’il envisage de faire construire, ou tout du moins voir construite. Aucun plan d’ensemble n’a été réalisé dans le tissu pavillonnaire de Détroit, et pourtant on est écrasé par la logique interne du système. En dessinant ces plans, nous nous réapproprions un contexte produit par une logique économique, et légitimons les qualités intrinsèques de ce système: hiérarchisation des éléments, composition du bâti. Nous avons réalisé des plans grâce à Google Earth, dessiné des façades à l’aide des travelling, et des perspectives avec Maps Live. Geste dérisoire, autant dans le sens de la dérision que dans son aspect vain, préalable indispensable pour nous: Cet exercice nous a permis de mettre à jour les valeurs architecturales et urbaines du site. Cette étape est une analyse, dans sa définition primaire: Décomposition d’une chose en ses éléments, d’un tout en ses parties. En revanche nous refusons de la considérer comme les architectes l’emploient traditionnellement: Il n’est pas question pour nous de s’y reporter pour justifier nos choix à posteriori, de la ranger dans une phase préliminaire au projet, comme l’Observer pour Faire, elle lui est inhérente. Nous revendiquons l’héritage de Rossi, pour qui observer est un faire: percevoir signifie créer une unité, saisir une multiplicité de détails dans l’unité d’une image. Toutes ses problématiques sont traversées par la question de l’image urbaine, de son architecture. Cette image se charge de valeurs de tout le territoire vécu et construit par l’homme.





A propos du contexte, la question de l’honnêteté est fondamentale, nous avons changé radicalement de posture entre avant et après notre voyage à Détroit. Tout projet est confronté à cette question simple. Quelle part de réelle intuition doit on accorder au projet ? N’est ce pas courir le risque de se voir par la suite justifier cette dernière par les éléments du contexte ? C’est à dire de manipuler les données du site afin de se conforter dans cette première intuition ? Afin de ne pas tomber dans ce travers, nous avons fait le choix de nous laisser un large temps consacré à l’analyse. Pas seulement parce que c’était notre dernière opportunité de le faire avant de rentrer dans la vie active, mais plutôt comme façon de digérer la somme des informations acquises, et de conserver notre flegme. La plus grande part d’intuition concernant le projet fut donc la manière dont nous avons mené notre analyse, avec ce souci de ne pas avoir une idée préconçue sur la finalité de l’étude, et de se laisser embarquer dans une recherche méthodique, systématique, voire quasi obsessionnelle, au travers de la représentation et de la mise en relation des éléments du site. Le choix de ce dernier illustre cette constante remise en question, cette incertitude cultivée.



Tout d’abord le long des 28 km rectiligne de la 8mile Road (site 1), nous nous sommes aperçus que la confrontation entre les communautés n’était pas aussi caricaturale que ce à quoi nous nous attendions. Nous sommes partis à la recherche d’un site qui justifie notre grand projet critique, nous l’avons trouvé à la frontière avec la ville de Grosse Pointe (site 2): Cette ville limitrophe de Détroit, historiquement très riche, avec un taux de remplissage du tissu de pratiquement 100%, fait face à l’un des quartiers les plus pauvres de Détroit, le Far East Side, dont le taux d’occupation est le plus faible de la ville. Puisque nous nous intéressions à la frontière, ici orientée Nord/Sud, notre site était une bande est/ouest intégrant d’un coté Détroit (à l’Ouest) et de l’autre Grosse Pointe (à l’Est). Après avoir abandonné l’idée du projet manifeste, nous avons pourtant gardé notre site, échantillon symptomatique de la décomposition progressive du tissu pavillonnaire. Le projet prenant forme peu à peu, nous sommes revenus à une échelle plus importante, choisissant une tranche de Détroit de 1,5 x 10 km (site 3). Enfin, nous avons défini deux territoires pour développer nos stratégies. Nous avons parfois regretté cette indécision, qui expose au risque d’un travail inabouti, et qui est un moyen de se protéger de la critique (site 4).

«Certaines définitions, de part leur certitude, ou bien par le type de choix définitif qu’elles affirment, ont définitivement cours; et leur répétition obsessionnelle permet de vérifier didactiquement leur efficacité par rapport au processus de connaissance en architecture, qui est ensuite une application constante au monde des forme».
GRASSI, Giorgo, L’ Architecture comme métier et autres écrits, Liège : Mardaga, 1983 , p 51

Cette recherche en plan, en axonométrie et en façade a été un moyen de nous positionner par rapport au projet alternatif dont le langage esthétique obéit à ses propres codes de représentation, même s’il s’en défend. Le croquis naïf, le dessin à main levée est préféré au plan à l’échelle urbaine, assimilé à la planification de la seconde partie du XXème siècle, jugée autoritaire, inhumaine, et vouée à l’échec. L’exemple du zonage illustre bien cette timide révolution. Si le zonage est proscrit, en réalité la question est plus sémantique que sémiologique, il est réapparu sous une nouvelle forme. Plus colorée, sa définition est dissoute par des frontière étirées, et le terme zonage est paraphrasé. L’ouverture revendiquée par l’alternatif le condamne à ne plus savoir se définir, d’un coté se targuant d’avoir retenu les erreurs du passé sans parvenir à trouver sa révolution, de l’autre se méfiant des progressistes en risquant de paraître réactionnaire. Le résultat singulier est si consensuel qu’il est difficile d’en parler, surtout dans son royaume de Détroit. La problématique de la ville est si complexe, la situation tellement critique, qu’elle nécessite beaucoup d’humilité, et devient un terrain fertile pour ce type de projet. Les acteurs du projet urbain à Détroit pourraient être comparés aux seconds pionniers (ceux qui considèrent avoir un temps d’avance sur la société, mais qui sont seulement les premiers moutons du troupeau) de la question environnementale il y a une dizaine d’années. En s’emparant de la question, ils la galvaudent et empêchent d’autres de s’en saisir d’une autre façon. Le projet Adamah, évoqué plus loin fantasme le retour d’un vie proche de la nature en augmentant les contrastes de l’image pour nous donner à voir du vert très vert, et un ciel bleu très bleu. Le néant créatif nous permet de jouer au jeu des 7 erreurs, ou vert et ciel bleu sont les transformations principales, version croquis à la main avec des crayons de couleur pour les étudiants de l’université du Michigan Taubman ou collage Photoshop pour les étudiants de l’Université du Michigan Mercy . Ces derniers, pour nous convaincre tout à fait, ont ramené la vie sous un auto-pont, ce qui semble aussi facile à planifier pour les architectes que le ciel bleu. Et pour les derniers réfractaires, constatez que le projet est un tel succès que même la nuit, les gens sont toujours là. Il n’ont même pas du tout bouger depuis le début de la journée, sont-ils réels?





Nos hésitations quant à la posture à adopter dans notre projet comporte ainsi les qualités de ses défauts: nous refusons le projet Landscape Urbanism, tout autant que l’urbanisme acupuncture, mais nous revendiquons les deux ensemble. Nous voudrions éviter de cataloguer trop vite le projet, pour que le local s’enrichisse du global, et inversement.

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