mercredi 25 février 2009

Eléments référentiels du projet 1


Exploitation de différentes temporalités


Chaque phase du système se décompose en deux temps. Dans une première étape, dont la durée est très courte, les résidents de la zone à vider sont délocalisés vers des aires où l’urbanité est maintenue, prenant la place de résidents qui ont quitté Détroit . Dans la seconde étape, les maisons destinées à disparaître sont mises à disposition des habitants de l’îlot. La matérialité du bâti est alors considérée comme une réserve, dans laquelle la communauté peut venir puiser, transformer ou déconstruire. Nous l’employons comme un instrument identitaire, pour nourrir le désir de vivre ensemble tout en s’excluant d’une autre communauté. Cette appropriation physique par le voisinage conduit à une dématérialisation progressive du bâti, qui, par cette opération de soustraction, donne à voir ses entrailles, rend lisible les différentes couches qui le composent. Cette consécration d’une temporalité étirée, pour rendre visible les entrailles du sujet, est une posture parfois également adoptée à l’échelle de l’objet, comme en témoigne le projet Wiederabbau1, pour le palais de la République, bâtiment symbolique à Berlin: geste vain, mais plein de sens, pour tenter de mettre à nu l’incompréhensible. Gordon Matta Clark travaillait de cette façon dans la première partie de sa vie, dénonçant les inégalités en découpant des bâtiments emblématiques, comme un devoir de mémoire, et pour comprendre la misère des occupants des lieux. La conclusion est incluse dans le protocole, il n’y a rien à trouver en découpant un bâtiment de logements sociaux, rien à comprendre, ou peut être un certain voyeurisme qui remplit le spectateur de mal être, et le confronte à sa propre responsabilité. Peu à peu, les maisons disparaissent, et la typologie de l’îlot prend la forme escomptée, pour une longue durée. On empêche personne de quitter cet îlot, mais il sera alors remplacé par un résident qui a été déplacé depuis un îlot qui enclenchait une phase de transformation.




Cette lente disparition du bâti laisse place au langage esthétique et signifiant de la ruine, qui trouve un échos dans la représentation du mythe de Babylone par Bruegel. En effet, si dans cette utopie urbaine, le voile d’incertitude qui entoure cet ouvrage, (la représentation de Bruegel est basée sur des récits dont les auteurs ont participé à la conception du mythe de Babylone) et la démesure de l’édifice expliquent en grande partie sa popularité, c’est le rapport du bâti à la religion, du physique au mystique, qui nous permet de comprendre cet édifice. La genèse dit: « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel»2. La métaphore nous suggère l’immensité du chantier, qui, s’il a un début, n’aura pas de fin, et nous renvoie au grand dogme de la religion, la promesse de la vie éternelle. Mais Ulrike Wegener remarque que ce dessin nous laisse à voir ruines et échafaudages, mêlant cycles de construction et déconstruction3, conférant à la tour le statut de ruine en construction, garante de son éternité, mais condamnée au perpétuel devenir.


Ce qui concède une telle force au patrimoine architectural de Detroit, est cette manifestation ostentatoire de l’échec de l’homme qui se plie sous le joug de la nature. Celle-ci reprend ses droits, et insuffle au lieu une atmosphère paradoxalement oppressante et reposante à la fois : notre propre régression est patente, l’équilibre retrouvé rassurant. C’est bien la manifestation temporelle de l’humanité en déclin qui explique la fascination pour la ruine. Chaque ruine abandonnée est le témoin d’une histoire douloureuse, et la ruine habitée l’est encore davantage, puisqu’elle signifie que la douleur persiste.

L’architecture à Détroit parle de ce renouvellement dans la décomposition, mais c’est le programme qui en témoigne. L’approche américaine lorsqu’il s’agit de son propre patrimoine nous laisse assister, incrédules, à l’absence totale de considération qu’ils ont pour la conservation de leurs bâtiments. La transformation du book Building, utilisé pour son altitude comme antenne de télécommunication, ou du Michigan theatre pour son volume comme parking, est sans doute l’unique représentation possible de la ruine américaine, sans nostalgie ni remord, mais tellement narrative pour le spectateur. On se rapproche de la vision de Rowe, par la superposition d’écritures, et de celle esquissée par Bruegel, par des signes d’abandon qui subsistent mêlés à l’apparition de signes nouveaux.

1. TSCHAIKNER, Eric, dans Shrinking cities 2 Intervention, Hatje Cantz Verlag, 2006, p107
2. La bible, Ancien Testament, Le Pentateuque -Genèse 11.4
3. WEGENER, Ulrike B., Die faszination des Masslosen: Der Turmbau zu Babel von Piter Bruegel bis Athanasius Krircher, Hildesheim, Olms, 1995








Le Monument: Outil urbain/ instrument identitaire

Le monument, aussi bien que le patrimoine mis à disposition des communautés se centre sur l’objet de la maison. Les projets qui suivent nous ont servi de référence quant à l’exploitation possible de ce type de bâti. Leur ambition est de catalyser des pratiques urbaines, ils sont ancrés dans une réalité qu’il est essentiel de considérer. Cette stratégie, quel qu’en soit l’initiateur, compte sur la participation des résidents, indispensable à sa crédibilité. Il n’est pas question de programme, il en résulte le monument sans célébration d’aucun événement passé, ou d’une quelconque personnalité décédée. Ce projet peut varier sur son ambition sociale et esthétique.

Le projet de collectif regroupe une pensée urbaine sans théorie, et sans grande conséquence sur la ville. Il est la quintessence de la misère urbaine, et son reflet physique. Il part d’initiatives individuelles ou associatives, qui se serrent les coudes dans une ville qui les a oubliés. Ce témoignage public doit être pris en compte. Il est le seul monument spontané, et nous permet de mesurer les conditions de vie inacceptables des minorités majoritaires à Detroit. Il est une photographie, n’a aucune aspiration, et n’est porté par aucun intellectuel, qui souvent ne leur accorde aucune attention, si ce n’est le mépris. Deux projets doivent retenir notre attention: le projet Heidelberg. Tyree Guyton, qui depuis 1986, investit peu à peu toutes les maisons abandonnées de la rue Heidelberg, par des sculptures, peintures ou autres assemblages, à partir d’objets trouvés dans les environs du site. Ce projet est pour l’artiste un médiateur pour retisser un lien communautaire, un instrument social, puisque tous les enfants du quartier sont appelés à participer. Un projet controversé également, par l’accueil divisé des populations avoisinantes. La plupart des réalisations du projet Heidelberg furent détruites par les autorités. La force symbolique de cette illusion (connotations paradoxales de la poupée éternellement naïve, et son utilisation comme objet détruit, abandonné) confère-t-elle la force subversive du monument en tant qu’oeuvre d’art? Ironie, monumentaliser les cracks houses devient le moyen le plus efficace de faire détruire les bâtiments abandonnés. C’est d’ailleurs ce qui incita le groupe d’artistes DDD, (Detroit. Demolition. Disneyland) à peindre les façades de maisons abandonnées en orange, systématiquement détruites dans le mois qui suivait par les services municipaux chargés des démolitions.

« Detroit did not become great through centrally planned vision. Detroit became great through the million of spontaneous, very personal and not always beautiful visions of its people. »

STULL, Thomas, Is saving Detroit ruins truly absurd?, The Detroit News, 24/12/1995




Une proposition intermédiaire se situant entre la dénonciation et le catalyseur est celle de l’école d’architecture de Mercy, à Detroit. Les intentions plurielles de ce projet rendent compte de la complexité de la problématique. L’objet de son intervention est également le pavillon. Si la dimension sociale est centrale dans ce projet, on retiendra surtout la concentration sur l’objet, en tant que patrimoine de Détroit. L’objet abandonné entraîne un phénomène de réappropriation, qui est typique à Détroit.

La logique de rentabilité devient la plus performante pour sauvegarder le patrimoine de la ville. Contrairement au centre ville, cette question ne se pose pas pour le propriétaire de la parcelle qu’il a abandonnée, mais pour les résidents du quartier environnant le bâti. L’architecture vidée de son contenu, devient cette fois un contenant à disposition des autres. Le projet FireBreak, par ses « interventions mercenaires », a pour premier objectif cette appropriation de la ruine comme patrimoine.
Bien souvent support physique d’une réflexion, le bâti devient en premier lieu un support publicitaire: de manière littérale avec le projet HouseWrap , marquant la construction de nouveaux logements par une organisation communautaire, mais aussi comme le miroir de l’activisme de ses habitants, avec le projet Hayhouse , promouvant la plantation de foin pour la désintoxication des sols par les habitants des quartiers Est. Le projet HouseWrap, avant de le comparer à l’emballage du Reichstag, peut être rapproché avec la démarche de Christo et Jeanne-Claude, par son intention populaire d’être assimilé par tous. Se rendre accessible est une stratégie de communication indispensable pour Détroit, et inhérente aux travaux de Christo, reconnu pour son talent promotionnel de communication.
Esthétique physique tout d’abord, en devenant l’objet de toutes les attentions des designers: le projet HousePrint, réalisé en 2004, avec sa couche de latex blanc liquide recouvrant toute la surface de l’objet, nous renvoie à l’esthétique des maisons minimalistes japonaises.






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